[BG présentatif] Gorborenne Salmo Salar

Sage

La seule chose qu'il percevait en cet instant précis, c'était ce mal de crâne atroce. Comme un étau sur les tempes, pis que la pire des gueules de bois, pis qu’après avoir vidé les caves du Poulpe Borgne, il y a deux mois. Doucement, il ouvrit les yeux, cherchant à focaliser son regard sur quelque chose. Un Campement, des tentes, à quelques encablures. Les arpents autour ne ressemblaient en rien à ce qu'il avait jamais vu. Était-ce déjà les Antilles? Il se souvient du départ en hâte de la Principauté de St Malo, à bord de la Marie Galante. Le Zeppelin chargé des richesses de la ville, les Pirates avaient mis cap au Ponant, par delà l'Océan. Mais l'océan, le destin, la Jasta? Qui était-ce donc qui les avait rattrapés pour les couler? Qu’étaient devenus Monsieur D.A.M.S. et Maria Fracass ? Sa doulce Emilia et ce fourbe de Preston avaient-ils réussi à sortir vivant de St Malo ? Il l'ignorait. D'ailleurs, le naufrage du dirigeable lui-même semblait un flou obscur à ses souvenirs. Comment avait-il sombré? Et sur quels courants avait-il donc dérivé pour que son presque cadavre aborde ses rivage sans havres...

Sans havres, cela restait encore à prouver. Une main, puis l'autre, lentement, il se remit sur les genoux. Une longue goulée d'air. Quelques rouages cliquetèrent à son front. L’Oeil de Calypso scrutait l'horizon. Étrange, quelque fragrance d’inconnu, subtile variation, l'essence des choses, différente, au plus profond. Le regard revient au campement qui se dresse, plus loin, entre les collines. Étrange pavillon, qui flotte sous la bruine. Des armoiries que jamais il n'avait vues, quelles étaient donc ces terres inconnues? La migraine lui brouillait les esprits, le pas restait chancelant, mais debout il se remit, et s'avança vers le camp. Lentement, très lentement.

L'herbe détrempée couchant sous ses bottes avait une cristalline de perles en rivières venant se larmer sur le cuir fauve à chaque caresse de pas, chaque pas qu'il avançait vers ces gens, se devinant là-bas. À peine remarquait-il la blessure dégoutant à son bras, tant sa tête lui faisait mal, si mal. Cela aurait été grande peine de compter les tambours roulants sous son tricorne à large bords. "Du rhum, Petit Bé à celui qui me trouvera du Rhum !"

Peut-être ces étrangers, là-bas en cachaient l’une ou l’autre flasque. Comme un lueur d’espoir qui redressa vaguement ses chancellements. Il continua d’avancer, laissant dans les flaques de pluie quelques auréoles de sang.

Hai-di-Ho, du Campement !

La voix rocaillait quelque peu, usée par la fumée des chaudières et le froid des hauts airs, fatiguée surtout, par ces dernières années de galères. "Tout cela" avait commencé il y a longtemps, si longtemps, mais "tout cela" n'avait fait qu'empirer, depuis deux ans. Quand le Capitaine Saldo du Gromlech tomba assassiné par les spadassins du Prince. Quand après avoir perdu un œil, la Sorcière de la Chapelle lui greffa à la place celui de Calypso, quand il se retrouva malgré lui Capitaine d'un équipage exsangue, exténué. Rassembler les hommes, remettre le navire au cieux, Il n'y avait rien eu d'héroïque à cela. Non, sauver leur peau, tout part toujours de là. Et St Malo était un véritable foutoir en ces temps là. Mais St-Malo était loin, il n'y avait à l'horizon que ce campement en lisière du chemin.

S’il vous plaît, j’en appelle à votre hospitalité…

L’hospitalité, tout ce qu’il demandait pour l’instant. Ces gens, peut-être étaient-ils accueillant… Qui sait ? Qu’importe. Avait-il d'autre choix en ces territoires aussi étranges qu'étrangers? Retrouver la Galante, rejoindre l'Équipage, reprendre l'océan. Il n'y avait pas de pourquoi, juste de comment. Tant de réponses qui viendront à leur temps…

Spoiler:

Sage

Une nuit d'été. Lourde, humide, avec un de ces vents brulants et collants, on y respirait presque péniblement. L'homme était là, assis devant sa tente, quelques affaires alignées devant lui. Entre ses doigts s'agitaient quelques outils. Le feu dansant au brasero se jouait de quelques reflets sur une flasque de tord-boyaux en équilibre contre sa botte. Entre se mains, un objet prenait forme. Quelque chose, qui chercherait sa direction, quelque chose qui révèlerait le secret de l'horizon, et peut-être, le chemin de la maison... Toujours aucune nouvelle de ceux de la Galante, et cela commençait à faire longtemps...

Longtemps...Le Temps, écoulement éternel se jouant des vivants, égrainant chapelets d'heures, de jours, de semaines. Changeant sans cesse, jamais le même... Pourtant, le Salmo Salar s'était déjà fait à quelques habitudes, retapant petits et gros navires, petites et grands blessés, sa tente aussi, ne refusant jamais l'hospitalité. Cette hospitalité que la Caravane lui avait accordé. Pour un œil les deux, pour une dent, toute la mâchoire. De bon ou de mauvais, c'est l'échange à recevoir.

D'un geste distrait, il retira son masque de protection, regard plus précis en ajustant l'équilibre du canon. Un canon, oui, calibre d'un quart de pouce, mais assez puissant pour abattre un ours. Une petite manie chez lui, rare étaient les fois où on l'avait vu assembler quelque appareil sans y adjoindre l'une ou l'autre gadget mortel. Vieille mesure de prudence, oui, normal pour un Pirate qu'il aurait dit, "syndrome du râtelier" répondrait un psy. Sourire qui s'esquissa dans l'ombre d'une lune presque pleine. Qui sait ce que demain nous amène. "Quelques menus projets" comme qui dirait... Projet qui avait pour nom Goélette, donner à la Galante une petite sœur... Reprendre le Vent et la Mer, ballasts gonflés et voiles fières...